On m’a demandé de vous enregistrer une bande pour parler des régions de Replicare. Je vais d’abord me présenter moi. Je m’appelle Meiko, guide du Secteur 9 et la vôtre sur cette section. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je dois vous rappeler ce qui définit les frontières de nos provinces.
Nous ne traçons pas de trait sur une carte pour délimiter les territoires provinciaux. Nos têtes pensantes ont déterminé que cela ne ferait que renforcer l’animosité entre voisins et que, tôt ou tard, des guerres d’influence allaient nous diviser. Il fallait un élément incontrôlable par notre société pour répartir les terres de façon juste, à défaut d’équitable. Les frontières sont donc déterminées par les biomes, des sortes de climats dominants.
Nous avons le dévasté pour Archan, avec sa pollution, son terrain plat et sa stérilité. Le tempéré pour Vall, avec ses collines, sa verdure et sa grande habitabilité. Le tropical pour San Antonia, avec sa jungle, ses marais et ses pluies torrentielles. Le sec pour Dahikar, avec ses déserts de roche et de sable, ses tempêtes et son soleil battant. L'insulaire pour Mice, avec ses îles, son humidité et les aléas que le Voile exerce sur elles. Le Voile ne possède pas de définition autre que la corruption. C’est un biome de mort.
Qulleqipok (province)Vous constaterez la transition entre Vall et Qulleqipok lorsque les feuilles auront peu à peu laissé place aux épines sur les arbres.
L’exploration de la région est toujours en cours. La tâche est rendue pénible par le climat et les reliefs qui ralentissent les explorateurs. Le Qulleqipok cartographié est une cuvette, avec pour rebord Ouest le Mur qui en délimite naturellement la frontière, puis une pelote de chaînes de montagnes qui dessinent les contours du Nord à l’Est, jusqu’à ce qu’elles s’épuisent dans la région de Kingull, berceau de tornades éternelles qui se prolongent jusqu’à Dahikar. Le ventre de la province, qui compose la majeure partie du territoire exploré, est formé de plateaux vastes offrant forêts ou steppes à perte de vue.
La vie dans le grand Nord est plus accessible pour qui est bon en survie ou en élevage de chevaux, caprins, rennes ou encore chiens de traîneau. Malheureusement, posséder du bétail ou un quelconque signe de richesse attirera la vermine des plaines et je ne parle pas tant de la faune sauvage que des bandits qui ont tiré profit de l’absence quasi-totale de voie ferrée. Il n’en n’existe qu’une seule en vérité, tout à l’Ouest, pour relier Archan à la capitale de Qulleqipok.
Tout ce qu’on sait des montagnes élevées aux limite du monde connu vient des aéronefs de reconnaissance qui ont bravé les vents glaciaux et souvent violents pour voguer par-dessus des pics et des ravins de roche et de glace. Certains monts sont si hauts que même nos appareils volants ne peuvent en supporter l’altitude. Quant aux alpinistes, on leur doit plusieurs découvertes et un tas de points de repères pour quiconque voudrait poursuivre leur œuvre. Peu se portent volontaires et c’est normal. En plus de coûter cher, le voyage n’offre rien à gagner. La plupart des points de repères offerts par les explorateurs portent le nom d’un vêtement caractéristique qu’ils ont laissé à l’endroit de leur épuisement. Si vous entendez un jour parler du sentier du manteau jaune ou du pic des bonnets violets, vous saurez le pourquoi de cette fantaisie macabre.
En été, seules les hauteurs conservent jour après jour leur nappe de neige. La voie ferrée est réservée aux mastodontes qui sortent d’Archan pour servir de transport de passagers et de fret entre les deux capitales. Il y a peu d’arrêts sur cette ligne, faute des villages bâtis, ainsi que par souci de sécurité. Si vous disposez d’un système apte à braver le courant, le Rhéon est le principal cours d’eau traversant toute la province pour gagner le climat tempéré de Vall. La descente est bien plus conseillée que l’ascension, étant donné le nombre de troncs d’arbres et bateaux marchands occupés à convoyer les productions de Qiyno vers le Sud.
D’autres fleuves parcourent la province, mais ne sont pas sécurisés par les autorités locales et présentent des risques de rapides. Les pirates d’eau douce ont beau prêter à rire, le fait qu’aucun bâtiment militaire ne sillonne leurs voies leur donne un avantage certain sur quiconque se risque à tenter l’escapade fluviale.
Je vous recommande la route sauvage si vous n’avez pas accès au train ou que votre destination ne concerne en rien l’unique ville de la province. Les rennes et chevaux font de bonnes montures et ils trouveront de quoi se sustenter sur la route. Il est également possible de tenter le voyage à moto, mais les techniciens habilités à réparer ou ravitailler votre bécane seront peu courants et l’absence de sentiers favorise grandement les risques d’abîmer votre suspension ou de crever vos pneus. Sans parler du bruit que fait un moteur dans la toundra. Ce sera comme une sirène hurlant "dépouillez-moi". Néanmoins, le voyage est techniquement possible.
Enfin, il existe les aéronefs. Ils sont indispensables pour ravitailler les ermites des montagnes et comptent leur lot de pilotes gagnant leur vie grâce à la dépendance de la zone aux transports sécurisés. L’inconvénient des engins volants reste le prix, exorbitant au vu des distances à couvrir. Le risque imputé aux intempéries et la fatigue des pilotes en sous-effectif n’arrange rien.
Ne pensez tout de même pas que la province n’est peuplée que de pillards et d’ermites. Il y a quelques hameaux, et même des endroits qui peuvent mériter le nom de villages, semés principalement aux abords des forêts et des régions montagneuses. Les zones plates sont également habitées par des tribus de nomades d’une à quelques familles qui montent et démontent leur maison – souvent des tentes – selon les exigences du climat ou de leur bétail. Et si on met les criminels de côté, la plupart des habitants de la région sont très portés sur l’entraide, même les plus bourrus d’entre eux. Le peuple qulleqipoque connaît l’importance d’avoir du soutien, particulièrement parce qu’il sait ce que sont la solitude et les risques qu’implique l’absence de sollicitude.
Qulleqipok est une région prisée des mutahumains. Là où les mécas se cantonnent à Qiyno, pour leur accès au sang S, les mutants profitent dans ce grand Nord d’une relative tranquillité, d’un risque de contamination de tiers largement réduite, et même d’un certain privilège d’asile grâce à l’école des Sourciers. Nous y reviendrons plus tard. Cela ne signifie pas pour autant que tout y est tout rose et il vous est recommandé la plus grande des prudences si vous croisez un mutant sauvage. Les cas de gangs de malfrats mutahumains et abominations ne sont pas rares.
Je vais nous réserver la capitale au Nord-Ouest, pour la fin. Du coup, pourquoi ne pas débuter avec le Sud-Est ? Il est temps de parler de ce fameux berceau de tornades, comme un bras de fer naturel Qulleqipok et Dahikar. Parlons de Kingull.
KingullNous sommes au Sud-Est de Qulleqipok et au Nord-Est de Dahikar. La province des montagnes gelées charrie en permanence un vent fort et froid depuis Yoltishi. Celui-ci invite à danser l’air cuisant du désert qui ne décline aucune occasion se joindre au son des bourrasques. Les deux biomes ainsi unis créent de violentes tornades. Il en existe plusieurs types, selon les proportions des mélanges et la direction des vents. Dahikar en est le principal terrain de jeu car il ne possède pas les murs nécessaires à épuiser les vents. C’est à Qulleqipok que les rondes s’y chorégraphient. Certaines dévient vers l’Ouest et évitent le sable pour demeurer en sol nordique. Kingull couvre tant les monts créateurs de tornades que le sol qu’elles balayent au point qu’il est très dangereux de s’y rendre.
Arpenter la zone du massif rocheux dans cette région est carrément impossible. La puissance des vents y est suffisante pour faire faire des tonneaux à une locomotive. De plus, la visibilité y est nulle, le bruit assourdissant et les débris projetés comme des balles de carabines ne laisseraient pas même au plus blindé des mécas une chance d’en réchapper. Je vous dirais bien de faire attention si vous approchez trop de Kingull, mais j’ose espérer qu’entre l’absence de vie, les vents préventifs et l’énorme suite de montagnes devant vous, vous n’aurez ni besoin de guide, ni de panneaux pour vous encourager à rebrousser chemin.
Seuls quelques hurluberlus astucieux profitent de l’aubaine du vent constant pour alimenter des éoliennes et produire de l’électricité à flux constant. Ces postes sont souvent bien gardés et souvent estampillés CAR ou toute industrie très puissante désirant tirer avantage du microclimat. Toutefois, des indépendants y vivent aussi. Je ne peux vous y garantir un bon accueil, d’autant qu’il faut le faire exprès pour se perdre jusque-là. Si votre condition se résume à soit mourir de malnutrition ou d’une blessure, soitou tenter de trouver de l’aide à Kingull, tentez l’aide. Dans les autres cas, suivez le sens du vent. Ils vous mèneront à une zone bien plus viable appelée Joroo Mori.
Joroo MoriVous êtes dans la jonction entre Vall et Qulleqipok, au centre Sud de cette dernière. Entre les collines et les hauts-reliefs, il y a cet endroit, fait de quelques bois, de quelques pitons rocheux, mais surtout de plaines étendues à perte de vue que l’ont appelle la steppe. L’herbe et les buissons abondent et sont présents jusqu’en hiver où il arrive que les températures chutent à plusieurs dizaines de degrés en dessous de zéro. Bien que phénomène occasionnel, quiconque vit sur place l’a déjà vécu et les qulleqipoques se préparent chaque année à une nouvelle vague de froid.
Le gel de Joroo Mori annonce en général un hiver rude pour Vall. La terre nordique a beau sembler assez plate sur la majorité de son territoire, le plateau se situe à plus de 800 mètres au-dessus du niveau de la mer, pour les 500 mètres que Vall atteint péniblement du haut de ses collines les plus élancées. L’été aussi y est plus extrême et on peut dépasser les trente degrés sur tout le territoire. Cela dit, les vents froids rafraîchissent vite le plateau et préviennent tout risque de canicule prolongée.
La maison caractéristique de Qulleqipok est le ger. Il s’agit d’une yourte, c’est-à-dire une grande tente démontable reposant sur un ensemble de poutres et lattes en bois. Sa célébrité lui vient du fait qu’on l’utilise dans plusieurs régions de la province et que, par essence, nombre de nordiques l’émportent avec eux pour les haltes en provinces étrangères. Toutefois, Joroo Mori a bien son style architectural local dédié aux sédentaires.
Si les nomades sont nombreux et composent la quasi-totalité des habitations de la partie Nord de Joroo Mori, n’oublions pas que nous sommes encore à la frontière de Vall, et qu’il existe une zone tampon entre les sédentaires et les nomades. C’est là, dans les régions boisées et proches des points d’eau, que vous trouverez la cula, ou maison fortifiée.
Il s’agit de petites demeures en bois, d’un ou deux étages, reposant sur un socle de briques pouvant atteindre à lui seul deux mètres de hauteur. Le pied de pierre peut-être recouvert de chaux pour protéger les fondations, tandis que la partie supérieure est souvent garnie de porches et de cultures en pots tout autour. On trouve également des petits potagers ou des parterres fleuris à proximité de la maison fortifiée. Le toit est fait de tuiles de bois ou de troncs recouverts de paille.
Ce sont des habitations faites pour être solides et isolantes. Certaines versions sont semi-enfouies dans le sol pour ne laisser dépasser qu’un monticule de branches servant à se dissimuler aux indiscrets de la région. Cela n’empêche pas les versions fortifiées d’avoir des poteaux et des portes décorées de gravures. L’intérieur est souvent chaleureux, avec nombre de tapis, rideaux et meubles ouvragés.
On ne peut pas dire qu’il existe de village fait de culas, mais les voisins se connaissent généralement et sont à quelques minutes de marche les uns des autres. Il est même courant que les maisons fortifiées soient le point de ralliement de nomades ou que les membres plus fragilisés de leurs familles y résident tandis que les valides conduisent les troupeaux d’un pâturage à l’autre. Peu de gens sont alphabétisés à Joroo Mori et les cases de sédentaires permettent au moins aux érudits d’avoir une adresse fixe où tenter de remplir le rôle de précepteurs.
Quant à la population nomade, elle dresse ou élève des chevaux. Les éleveurs dahikari, vallois et qulleqipoques n’ont pas du tout le même type d’équidés. Dans le désert, on favorise la vitesse et la résilience, principalement envers le besoin d’eau. À Vall, on trouve principalement des équidés puissants, pour le trait, les travaux agricoles ou le port de carapaces. Quant à Qulleqipok, on y favorise les espèces pour la qualité de leur lait, leur capacité à s’harnacher de bât pour transporter le matériel sans attelage, ainsi que la vitesse qu’exige et permet le sol de Joroo Mori. La nourriture y abonde et les races locales n’ont besoin d’aucun autre apport que celui du fourrage naturel. Cependant, toutes ces qualités ne font pas l’atout principal du cheval provincial.
Les équidés de Joroo Mori on la caractéristique étonnante d’être d’une stabilité inégalable. Leur trot ne cause pas de chocs suffisants pour casser le dos des cavaliers et ces derniers peuvent user tu tir monté sans subir trop de perte à cause des secousses. Cet avantage fait du cheval de Joroo Mori le choix idéal pour les franc-tireuses et les cavaliers qui ont besoin de chevaucher longtemps. De façon générale, la viande de ces troupeaux est rarement consommée. Mais lorsque cela se produit, pour certaines célébrations ou plus tragiquement nécessité de survie, les éleveurs n’en jettent rien, pas même les os et le crin qui serviront à divers objets d’artisanat.
Les nomades ont souvent des chèvres et des volailles dans leurs bagages pour leurs besoins nutritifs. Les tablettes de moon d’Archan ravitaillent également les habitants, sans être courant à l’emploi. En effet, le peuple qulleqipoque semble préférer le pemmican, une version plus rustique fabriquée par les éleveurs de rennes de Stundsamr.
StundsamrDe prime abord, vous ne verrez pas la différence entre cet endroit et Joroo Mori, plus au Sud. C’est en hiver que la différence se fait plus nette. L’herbe y meurt dès l’automne et le décor se change en terre pauvre et gelée. La steppe s’est changée en toundra.
En saison chaude, Stundsamr est une étendue herbeuse viable et populaire. Il y fait froid, mais le gel n’est pas omniprésent. Quand arrive l’automne, les troupeaux quittent les lieux pour rejoindre Orsuas, une région au Nord-Est où la présence de forêts offre de la mousse et de l’écorce aux rennes, en plus de gibier à chasser pour les espèces plus carnivores. La présence de faune se raréfie à Stundsamr et ceux qui restent sont soit des petites créatures débrouillardes, soit des prédatrices.
L’absence de zones boisées et le peu de reliefs présents dissuadent même les planteurs de gers (les yourtes) les plus aguerris de s’installer sitôt l’automne à maturité. Le bétail lui-même ne supporte pas ce climat de désolation. Le seul avantage est qu’il y fait clair comme un Vall d’hiver, le Mur et les montagnes étant trop éloignés pour dissimuler le soleil. Cette précieuse clarté vous donnera un peu plus de temps pour vous échapper. Si la nuit vient à tomber et que vous êtes toujours à Stundsamr, quoi qu’il arrive, ne vous approchez d’aucune lumière.
La région n’est habitée que par des bandes de hors-la-loi. Quand ils n’ont pas de victimes à portée, ils s’attaquent entre eux ou forment des alliances temporaires pour se renforcer le temps que la température remonte. Ces pillards ont dû démontrer leur férocité pour survivre à Stundsamr, particulièrement face à des nomades potentiellement pacifistes, mais farouchement décidés à défendre leurs biens. Il leur a également fallu prouver leur puissance face aux esclavagistes de la capitale.
Personne n’envoie des forces militaires pour combattre les bandits nordiques. Cependant, bien qu’ils détiennent la région, ils évitent de s’étendre ailleurs. Les hors-la-loi ont un effet de filtre envers les prisonniers déserteurs de la capitale, qu’ils prennent très rarement sous leur aile. Fuir Qiyno n’offre que le train ou la terre des pillards à traverser. Les prédateurs de Stundsamr ont un effet dissuasif et radical envers ceux à qui cela ne suffirait pas. De façon générale, il n’est pas absolument impossible de négocier avec les pillards, mais leur parole n’a de valeur qu’entre eux et ils n’écouteront personne qu’ils jugent en position de faiblesse. L’essentiel des contrats d’externes qu’ils acceptent concerne des missions périlleuses dont ils profitent pour éprouver leurs aptitudes.
Malgré leurs penchants barbares, il est bien probable que Qiyno, voire Archan Capitale, traitent avec eux. Ce qui est certain, c’est que les pillards n’acceptent pas les métahumains. Ils méprisent les mécas et tuent les mutants à vue, par rite initiatique ou simple haine. Un humain arborant des tatouages ou des scarifications rituelles risque également de titiller leur orgueil.
Les maisons des pillards sont appelées torfbaer. Ils s’agit d’habitations posées sur un socle de pierre, comme à Joroo Mori, aux deux différences majeures que celles de pillards sont bien plus grandes et peuvent s’allonger sur plusieurs dizaines de mètres, donnant l’impression d’une carapace de terre ou d’un cloporte gigantesque échoué au milieu d’un grand rien. L’autre différent, bien pire, est la raison de ce toit de terre, tout comme de l’enduit qui recouvre le socle et les murs de bois des édifices. Quand reviennent les beaux jours, la végétation repousse sur la toundra, comme sur l’intégralité de ces maisons vertes. Il devient difficile de savoir si une bosse dans le décor est un relief naturel ou une loge de pillards. Le camouflage est si efficace qu’il est courant que des malheureux s’approchent bien trop près avant de comprendre leur erreur.
Outre ce désagrément majeur, Stundsamr a l’avantage d’être à la croisée de tous les chemins. Le commerce y va bon train aux alentours de la voie ferrée du printemps à l’automne. Il est facile de circuler quand il fait assez chaud sur l’ensemble du territoire, et même les motos peuvent tenter le trajet. On peut aussi y voyager via quelques cours d’eau, utiles au ravitaillement des voyageurs, comme des nombreux étangs que le gel transforme en patinoires, mais où il demeure possible de pêcher quelques poissons et crustacés. On y trouve aussi des sources chaudes, mais là rangez bien vite votre enthousiasme. Avec le temps, ces poches chauffées par géothermie sont devenues un piège redoutable appelé le poison de Yeti Gaisi.
Yeti GaisiEn poursuivant notre route vers le Nord-Ouest, en vue de rejoindre Orsuas, nous risquons de tomber sur des avertissements à base de dessins illustrant des humains bestiaux ou difformes. Ce sera le signe que nous ne sommes plus très loin des sources chaudes de Yeti Gaisi, un site historique devenu maudit à cause de la malice des mutants.
Autrefois, c’était un point d’escale idéale. Même au plus froid de l’hiver, l’eau n’y gèle pas et permet de s’y baigner et de faciliter la guérison. Les rochers bordant le site protègent des vents et le terrain pentu empêche la plupart des prédateurs d’y tendre des embuscades. Les lynx des montagnes ont vite cédé le territoire aux nombreux pèlerins en quête de réconfort et de repos. On a même songé y bâtir un village.
Puis, il y a eu les mutants. L’exode des maudits vers de nouvelles terres ont amené une partie d’entre eux à prendre d’assaut Yeti Gaisi. Non-contents de massacrer les campeurs du moment, ils ont contaminé chaque source avec la souillure de leur sang. Puis, des jeux s’y sont organisés. Les candidats imposés aux épreuves se faisaient saigner avant d’être amenés à s’affronter au cours de divers jeux, souvent à base de combat. Ceux qui l’emportaient étaient soit tués, soit plus rarement relâchés et laissés à l’abandon sans leurs affaires. Pour les perdants, il y avait eu un plongeon dans une des sources. La blessure ouverte entrait en contact avec l’eau contaminée. L’humain devenait un mutant.
Le rituel a duré quelques semaines avant que l’information ne remonte et que des chasseurs viennent en nombre reconquérir le terrain. À leur arrivée, les mutants avaient déjà plié bagages. Une partie de ces braves découvrirent à leurs dépens le sort réservé à ceux qui voulaient revigorer leur corps meurtri dans l’eau chaude.
Avec le temps, les mutants ont fait une tradition locale l’empoisonnement de toute nappe géothermique. Yeti Gaisi est un ensemble de sources, mais il y en a d’autres, isolées, parsemées à Stundsamr et Orsuas. Vous ne saurez jamais lesquelles sont saines et lesquelles sont viciées. Certains éleveurs utilisent une tête de bétail pour servir de cobaye. Ce n’est pas tant pour absolument profiter de la source que pour savoir s’il faut empêcher le reste du troupeau de s’en approcher. Même si elles s’avèrent saines, peu d’humains osent y tremper un orteil désormais. Le poison a infiltré les esprits. Ceux qui ne craignent rien sont les mutants, déjà corrompus, ainsi que les mécahumains, dont le sang les protège naturellement de la contamination. Rares sont synthétiques dans cette région tant éloignée de la civilisation, où mutants et humains doivent se partager les ressources naturelles.
OrsuasSi le Nord-Ouest de Qulleqipok offre le refuge de la civilisation via son imposante capitale, le Nord-Est en est la version naturelle. Point de ville ici, mais de nombreux bivouacs de nomades montant leur ger pour la durée de l’hiver. Stundsamr et sa toundra sont stériles durant la saison froide. Voilà pourquoi les tribus ou simples itinérants privilégient la zone boisée de la taïga, ultime frontière avant la fin du monde connu sans pour autant s’aventurer dans les montagnes.
Orsuas est une zone rude. Si les rennes y trouvent leur comptant de mousse, les prédateurs y sont bien plus nombreux que dans la toundra et les gardiens de troupeaux doivent rester vigilants. Nombre d’entre eux possèdent des chiens de traîneau entraînés à défendre les imposantes montures. L’emploi des rennes pour se déplacer ne manque pas d’amuser les étrangers, mais c’est davantage une nécessité qu’une excentricité. Par ce climat, les chevaux ne résistent pas, pas plus qu’ils ne sont friands du régime alimentaire local. Les rennes sont lents, mais robustes et endurants. Les nomades sont tant rompus à les faire avancer qu’à gérer leurs querelles ou leur caractère borné.
Loin des questions théologiques, ici de nombreux cultes religieux, plus ou moins cousins les uns des autres, donnent lieu à des célébrations. Des petits autels provisoires poussent çà et là, tandis que des cairns se forment jusque dans les hauteurs de Yoltishi, la région montagneuse. La fête de Yul, le solstice d’hiver, est la plus connue. On s’y offre des cadeaux et organise des banquets, quitte à sacrifier un animal pour l’occasion. Certains porteurs font même une tradition d’aller porter des jouets et des sucreries aux enfants des campements voisins.
Les restes des banquets sont séchés, broyés et transformés en une tablette nutritive locale : le pemmican. Ces briquettes de viande, de miel et de graisse serviraient de rations de survie aux nomades s’ils venaient à manquer de vivres. Le pemmican est très peu connu en dehors des zones neigeuses, mais il a au moins l’avantage d’être très protéiné et de se conserver même avec des températures positives.
Le réseau de la taïga est bien organisé. Personne n’ignore le danger des pillards de Stundsamr, qui pourraient occasionnellement venir les attaquer par besoin urgent de vivres. Les tribus surveillent et s’entraident, en plus de constamment voyager de l’un à l’autre pour transmettre les nouvelles. Un campement est généralement composé d’une à trois familles et tout le monde tient à jour les zones où un éleveur a déjà été faire manger ses bêtes. Les statisticiens et promoteurs jouent de gestion et d’arrangements pour se répartir le territoire. Les disputes entre nomades sont très rares, pour ne pas dire inexistantes. Dans ces terres sans loi, la solidarité fait foi.
Ce comportement rend les locaux très chaleureux, mais également plus retors à l’idée de rejoindre des villes. Peu d’autochtones migrent vers Qiyno ou d’autres capitales. Ceux qui le font sont, majoritairement, des jeunes qui ne trouvent pas leur place ou ne se sentent pas assez compétents pour gérer des troupeaux. Les vieux préfèrent finir leurs jours dans la région polaire, même si leur santé serait bien meilleure avec des climats plus cléments. Pour qui ne se sent plus en mesure d’être nomade, une retraite demeure possible aux culas de Joroo Mori ou aux grottes aménagées de Yoltishi.
YoltishiIl existe un tas de noms donnés aux chaînes montagneuses. Yoltishi a tendance à être généralisé pour toute la collerette entre Qiyno et Kingull, du Nord-Ouest au Sud-Est de la province.
La région est une succession de précipices, de pics, de bassins de glace et de lacs salés. Y respirer est compliqué pour les étrangers et l’épuisement physiologique s’ajoute à l’épreuve qu’imposent les nombreuses pentes des lieux. Le sel des lacs attire les caprins et les caprins attirent les prédateurs, dont l’être humain. Pour l’eau potable, il suffit de faire fondre la neige ou la glace.
Un cours d’eau populaire, le Missiski, s’écoule entre des flancs de montagnes à un rythme lent et régulier. La navigation n’y est pas possible, mais la vie s’y est organisée tout autour. C’est l’endroit idéal si vous cherchez à rejoindre des habitants sans tenter de découvrir au hasard les cabanes d’ermites clairsemées dans la région. Quelques sentiers et tranchées permettent de s’y rendre. Des abris destinés à faire escale sont présents le long des chemins et la plupart sont entretenus pour garantir une nuit de repos satisfaisante aux voyageurs.
Lorsque le Missiski cesse de former des rapides et des cascades pour devenir un long fleuve tranquille s’écoulant au milieu d’une vallée de cailloux, façonnée par des monts qui se sont écartés pour lui céder le passage, vous serez au Yoltishi originel. C’est le nom qui fut autrefois donné à son village.
Plusieurs cabanes jonchent les bordures du Missiski. Mais c’est en levant les yeux sur les flancs des montagnes que vous verrez l’essentiel des habitations, sous formes de cubes creusés dans la roche. Les marches taillées de part et d’autre des hauteurs mèneront toujours à un groupe de survivants occupant une de ces maisons troglodytes. Elles se relient entre elles par de longs couloirs éclairés à la graisse animale, à l’abri des regards extérieurs. C’est en montant que vous verrez, aux draps couvrant chaque entrée, si vous êtes devant un foyer, un temple ou une boutique. Il ne faut pas avoir le vertige, mais les autochtones sont habitués à marcher à côté des précipices et on peut même trouver quelques cours et terrasses aménagées, dont le panorama sur le fleuve et l’ensemble des reliefs est somptueux.
Nombre de temples sont sidéralistes. Toutefois, d’autres cultes plus païens résident dans la région et il n’est pas rare que même les sidéralistes locaux pratique une double religion. Il s’agit souvent de versions davantage animistes et de superstitions facilitant le courage de braver la vie austère des environs. Rien n’inquiète ni ne donne de raison de s’inquiéter à la confession victorienne. Plusieurs artisans et marchands de denrées diverses se sont établis dans la montagne de Yoltishi, ainsi que des convoyeurs de bois, de pierre ou de glace qui travaillent en petits groupes et profitent de leurs voyages en terre étrangère pour apporter quelques produits que la montagne n’offre pas.
Si vous n’êtes venu à Yoltishi ni pour le plaisir du voyage, ni pour son village, alors vous êtes probablement là pour son école.
L’école des SourciersLe village de Yoltishi est en contrebas d’un bâtiment imposant et accessible au bout d’une longue série de marches. L’édifice est fabriqué à partir de blocs massifs prélevés littéralement sur place. Un portail en fer forgé muni d’une cloche invite tout visiteur à signaler sa présence et attendre qu’on lui ouvre.
L’école des Sourciers et une consturction imposante, qui offre même une cour extérieure, une tour de guet et une succession de ponts de bois permettant d’accéder à des plus petites constructions annexes, elles aussi construite sur le flanc cassé et remodelé de la montagne, afin de servir de plateformes habitables à ses habitants. Aucune maison n’est troglodyte. C’est formellement interdit. Tout ce qui est aménagé doit être visible et contrôlable. Ces précautions ne sont pas prises à la légère et ce malgré la distance colossale qui éloigne ce lieu de la capitale ou de toute autorité victorienne.
À l’origine, l’école était réservée aux étudiants du Voile. Mysticiens, alchimistes, exologues, érudits et bien d’autres, puis les répurgateurs, médecins et purificateurs, tout autant intéressés par les moyens de repousser la corruption frappant l’humanité. De par la majorité d’occupants affiliés à la branche sourcière, le surnom devint le nom officiel.
Son site initial n’était pas au sommet de Yoltishi, mais à l’Ouest de Stundsamr. De part sa nature de cabinet des curiosités, il servait également de refuge aux mutants venus trouver asile en échange d’une totale collaboration aux études de l’inconnu. L’afflux des maudits, de plus en plus mal vus à mesure qu’ils pullulaient, a poussé l’école des Sourciers à déménager. N’entendez pas à mon ton une quelconque défense envers les mutahumains. L’école n’est pas devenue une forteresse de pierre dans sa version définitive parce qu’ils étaient trop simples à gérer et qu’il faut protéger ces créatures de la méchanceté des personnes saines. J’admets toutefois que même un mutant de bonne foi avait des raisons d’avoir peur en restant dans la toundra.
Les membres ont alors migré vers Orsuas, puis Yoltishi. Leur idée était d’éviter un maximum de risques de contamination d’humains tout en montrant patte blanche à la fédération. La montagne en bordure du monde connu les éloignait assez du Mur et du chemin de fer, s’assurant ainsi de les canaliser dans un lieu où se déplacer demeurait lent et périlleux. En contrepartie, le bâtiment de l’école actuelle fut intégralement financé par la fédération et les mutahumains purent conserver un statut de citoyens, les premiers de Replicare. Du moins, à l’obtention de leur diplôme. L’écoel est Sourciers est encore actuellement la voie royale pour obtenir la citoyenneté et un prestige réduisant largement la défiance faite envers les maudits promus.
Le site est aujourd’hui majoritairement composée de mutahumains. Quelques mécahumains y travaillent pour la surveillance, l’entretien ou occuper quelques places administratives, mais les humains n’y sont pas les bienvenus. Leurs visites dans l’enceinte du bâtiment sont soumises à une escorte constante et de telles mesures de confinement qu’on dirait que ce sont eux les souillures du Voile. Il s’agit bien sûr de veiller à leur sécurité.
Si vous appartenez à l’espèce humaine, vous ne verrez donc probablement pas l’intérieur de l’école. M’y étant rendue l’an dernier, je peux affirmer que l’austérité présente depuis l’allure extérieure est absente sitôt à l’intérieur. Feux de cheminées, tapisseries, meubles ouvragés en bois ou en pierre, salles de jeux, bibliothèque et activités extrascolaires, tout est pensé pour que les mutahumains s’y sentent à l’aise et désirent apprendre. Des expériences sont toujours menées, mais ce sont des médecins mutants qui les dirigent. La direction elle-même est mutahumaine. Il est même permis de flirter, moyennant une signature de contrat entre les tourteaux. Les closes implique des médications contraceptives et, au cas où une erreur serait commise, un accord total pour une intervention médicale. Le mutagène reste une maladie et un fléau. Mêmes si elles n’en peuvent rien, les victimes doivent montrer qu’elles ont le sens des responsabilités par rapport à leur affliction. L’école espère un jour mettre au point un remède ou, mieux encore, trouver un produit miracle qui rendra nul le risque de contamination au Voile, par le corps comme par l’esprit.
Le cadre est donc sérieux, mais pensé pour mettre en confiance et éviter tout risque de ségrégation. Les mécahumains sur place sont moins moqués que des sujets de curiosité. Les corrompus ne sont pas habitués à cohabiter avec eux sans que cela ne vire à l’affrontement ou aux railleries à leurs dépens. J’avoue avoir passé un agréable séjour là-bas ; preuve que la fédération et le personnel complice de l’école ont fait du bon travail.
Une aide psychiatrique accompagne les élèves qui quittent l’établissement suite à une offre d’emploi extérieur. Nombre d’employeurs amenés à devoir engager des mutants préfèrent ceux qui ont été formés à leur futur métier autant qu’aux mesures anti-contamination. Le cursus de l’école apprend tous les gestes barrière, la rigueur de l’hygiène et les bons réflexes pour minimiser les risques de rendre malades leurs futurs collègues humains. La psychiatrie sert à la fois de suivi médical post-formation et d’aide à se réintégrer à la vie active. Les pensionnaires des Sourciers ont tendance à développer des formes diverses de phobie sociale ou n’ont plus du tout envie de se mêler à la population humaine. L’isolement ne résout pas tout.
La fédération veille au mieux à mobiliser les bons damnés aux bons endroits, même s’il y a toujours des failles. Surtout, l’espace alloué aux résidents de l’école est limité et les étudiants ne cessent d’affluer. Un jour viendra où construire de nouvelles loges ne suffira plus à contenir la masse. Du reste, les conditions d’admission semblent se raidir d’année en année. L’école joue la montre, espérant apporter des découvertes capitales à Replicare. Ils ont déjà prouvé leur talent par le passé. Reste à gagner la course contre le temps.
Et si nous quittions une cage dorée pour une autre ? Explorons enfin l’Ouest de Qulleqipok et parcourons la région de sa capitale.